Ses « one-woman-shows »
Ma mère a présenté des spectacles solos, ses « one-woman-show » comme elle les appelait, dans divers centres communautaires, surtout lors de la Journée Internationale de la Femme, le 8 mars. Elle a même été à Asbestos.
Ses monologues, « Mon blues de femme », « Un show de toutes les couleurs » , « Du rêve à la réalité», « La solitude peuplée » ont permis à d’autres femmes, fin des années ’70, début ’80, de s’interroger sur leur vie personnelle, leur vie de couple (le manque de communication), sur l’image de la femme véhiculée dans la société et de penser qu’il y avait peut-être autre chose dans la vie à vivre qu’exceller en tâches ménagères (être la reine du foyer), être bien coiffées, maquillées, habillées; que les femmes ont bien plus à apporter à l’humanité.
Quand je regarde notre société d’aujourd’hui, 40 ans plus tard, je me demande si tout cela a vraiment changé…
« Mon blues de femme » (Carmen Raymond)
« J’aurais aimé être une artiste pour pouvoir faire mon numéro pour savoir pourquoi j’existe! »
Ben oui! J’aurais donc aimé ça être une artiste. Mais y’é un peu trop tard pour y penser. M’voyez-vous, à mon âge, moi, une femme, suivre des cours de théâtre? Surtout pas dans un Cégep avec des jeunes, y paraît qu’c’est une gang de drogués qui pensent rien qu’à baiser… Qu’est-ce que l’monde dirait? N’empêche qu’l’théâtre, ça m’a toujours ben gros fasciné.
Être une comédienne, une vraie. Tragique, comique, prétentieuse, niaiseuse, malheureuse, heureuse, amoureuse, toutes les euses possibles et impossibles. D’nos jours, tu peux même parler joual sur une scène, t’as pas besoin d’être ben instruite pour ça pis d’avoir suivi des cours de phonétique. Tout le monde peut l’faire, fais-le donc!
C’est-y assez l’fun! Tout le monde, mais à condition, pour une femme, d’être jeune, belle et sexy. Jeune… c’é vrai que j’suis un peu moins jeune depuis qu’j’ai commencé à vieillir… Pis belle, j’sais pas, peut-être qu’avec un bon r’montage de peau et un p’tit coupage de nez, ça pourrait s’arranger… Qu’est-ce que vous en pensez?
Ah! Oui, c’est vrai, vous avez raison, j’rêve encore en couleur. Ça doit être ma ménopause qui me travaille encore, j’suppose. Riez pas, ça c’est pas drôle, la ménopause. L’autre jour, j’suis allée voir mon docteur, pis j’y ai dit, comme ça :
« Docteur, j’sais pas c’qui arrive, j’commence à penser. »
« Tu penses, toi, ma vieille! »
« Ben oui, docteur, pis j’pense à toutes sortes de choses bizarres (Ça c’é mon mari qui dit ça). Par exemple, y m’semble que j’aurais l’goût de faire du théâtre, même écrire des monologues, des poèmes. Même des fois, j’commence à zieuter les hommes sur la rue, y’en a même un que j’trouve pas pire pantoute. Dites surtout pas ça à mon mari, docteur, y va penser que j’suis folle pour vrai! »
« Quelle âge as-tu? »
« Ben docteur, j’pas pour vous dire mon âge devant tout l’monde icitte à soir! Vous avez rien qu’à regarder dans mon dossier. »
« Ben, c’est bien ça que j’pensais, c’est ta ménopause, ma vieille! »
« Ça vas-tu durer longtemps, docteur, ma ménopause? »
« T’as pas à t’en faire, ça peut durer 5 ans, 10 ans, 15 ans… Y’a rien là! J’vais te prescrire des valium, tu vas voir qu’en les prenant, tu vas te sentir assez bien que tu penseras plus à rien! »
« Mais docteur, si j’pense pu à rien, j’vais être un légume! »
« T’as pas besoin de penser, tu es une femme. On est là, nous autres, les hommes, pour penser à votre place, vous autres, les femmes! »
« Ah, docteur, c’est ben fin c’que vous venez de dire. »
J‘me suis dit, en moi-même, j’vas l’avoir dans un p’tit coin noir.
« Docteur, c’é-t-y vrai que vous autres aussi, vous avez un genre de ménopause? On l’appelle l’andropause. Même que vous pouvez avoir des chaleurs, pis être un peu plus impatients que d’habitude, même que ça peut agir sur certaines de vos performances, c’é-t-y vrai ça docteur? »
« Bien, c’est un peu vrai, oui, en effet.»
« Est-ce que vous leur prescrivez des valium aux hommes, docteur? »
« Voyons donc ma vieille, qu’est-ce que tu dis là? Les hommes n’ont pas besoin de valium, ils ont seulement à faire un homme d’eux! »
« Docteur, c’é pas ben fin ce que vous venez de dire là. À ben y penser, gardez-les donc pour vous, vos valium. On sait jamais, vous allez vieillir, vous aussi docteur, vous en aurez peut-être besoin. »
Là, j’suis revenue chez-nous. J’ai pas besoin de vous l’dire, j’étais en beau mautadit. Pour m’changer les idées, j’me suis mise à penser au théâtre. Quand j’y pense! Vivre dans la peau des autres, avoir les problèmes des autres, t’as pas le temps de penser aux tiens, ou presque. Mé à ben y penser, j’pense que j’aurais aimé mieux être un artiste-homme qu’une artiste-femme, parce que c’é ben moins d’ouvrage.
Parmi les artistes-hommes qu’on voit à la TV ou en spectacle, y sont pas toutes si beaux pis si jeunes que ça, y’ont du succès pareil. Prenez, par exemple, Yvon Deschamps. Y a ben gros d’talent. Mé avec ses cheveux grisonnants, y’a pas d’besoin d’shampoing colorant. Au contraire, ses ch’veux gris lui donnent du charme. Cé pas important, cé pas pareil, c’t’un homme! Y aussi Jean Lapointe avec son bedon qui pointe. Pas besoin de gaine 16 heures Playtex. Y’a pas besoin d’être sexy, lui. Cé pas important, cé pas pareil, c’t’un homme! Y’a aussi les deux Rogers, Roger Beaulu et Roger Giguère. Avec leur nez à la Cyrano de Bergerac, y’a pas eu besoin qu’on les amputasse. Y se sont sauvé un paquet d’argent, les chanceux. Parce que leur grand nez leur donne un air intelligent. Cé pas important, cé pas pareil, ce sont des hommes!
Mais parmi les artistes femmes, y en a une surtout que j’trouve ben chanceuse, pis que j’envie ben gros. Cé Carole Laure! Elle, elle l’a l’affaire : elle est fascinante, tangotante, murmurante, a pas d’voix, mé a tout c’qui faut à part ça… est jeune, belle et sexy. Cé ça que les hommes aiment. Cé vrai que pour aller avec le quotient intellectuel de ces messieurs, j’parle pas de ceux qui sont venus me voir à soir, j’parle des autres qui ont pas osé se compromettre, oui, pour les autres, cé ben assez suffisant.
Dans l’fond, nous autres, les femmes ordinaires, on é plus chanceuses qu’on pense, on n’a pas besoin des hommes tant que ça! Ben oui, nous autres, les femmes, on peut faire un paquet de choses ensembles, pas d’hommes, qu’les hommes sont pas capables de faire pas de femmes. La preuve, on peut se toucher, s’embrasser, même danser ensemble, sans se faire remarquer. J’sais pas si vous avez déjà vu des hommes se toucher, j’parle pas dans les sports, s’embrasser, danser… ensemble? Peut-être dans des endroits un peu spéciaux, mé dans le monde ordinaire? Pas souvent.
Oui, nous autres, les femmes, on est chanceuses pis importantes à part ça. Très importantes même. Parmi les artistes-hommes, si y’avait pas eu d’femmes-moumans pour les enfanter, les porter neuf mois, les chouchouter, les dorloter, les décrotter, les élever quoi! Y’en a qui seraient pas rendus ben loin, aujourd’hui. Y a même un monsieur, un monsieur très célèbre, qui a dit : « En arrière de tout homme qui a réussi, il y a une femme. » Cé bizarre, y’a jamais personne qui a dit : « À côté de toute femme qui réussit, y’a un homme. » Y’on pas pu l’dire parce qu’y en a pas. Si y’en a déjà eu un, y’a eu peur, pis s’est sauvé!
Faudrait tout de même pas charrier! J’vous l’ai dit, nous autres, les femmes, on est chanceuses, importantes et pis très autonomes à part ça. On é plus dans les années ’40 ni ’50. Depuis ’63, avec le bill 16, la femme qui veut travailler, à part travailler à la maison, elle a pu d’permission à demander à son mari. On é-tu assez grand ’filles, vous pensez! Aujourd’hui, en 1983, la femme qui travaille, surtout si elle a des enfants, à part son mari, se lève de bonne heure, fait l’déjeuner, va mener les p’tits à la garderie et s’en va à son vrai travail. La journée de son vrai travail finie, s’en va chercher les p’tits à la garderie et revient toute essoufflée… Là, si elle a peur de s’ennuyer, elle peut toujours faire le cuisinage, le ménage, le magasinage, l’esclavage, quoi!
Vous voyez, quand j’vous disais que ça avait ben changé, surtout depuis 1975, l’année de la grande libération de la femme! Oui, les hommes ont bien évolués. Ils ont enfin compris la valeur et l’importance de la femme. On est tellement importantes, nous autres, les femmes, pour eux autres, les hommes, que des fois, ça leur en prend deux, ou plus!
Ouais! C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle! Quand j’pense à tout c’que j’viens d’vous dire… C’est ben simple, y’a des jours où j’me sens tout croche en dedans, puis j’suis en beau mautadit. Par contre, y’a d’autres jours où ma ménopause me travaille moins fort, j’suppose… J’trippe ben gros, j’nous trouve chanceuses, nous autres, les femmes ordinaires, oui, chanceuses, autonomes, importantes et très libérées… et pis j’suis fière de vivre, aujourd’hui, en 1983, dans une société où il n’y a pas de sexisme. Oh! Pas de sexisme du tout… ou presque…
Et je suis heureuse d’être une Femme!